[Traduction par la merveilleuse Aimée LeBreton de Traditions Global Expressions, avec des conseils et des encouragements généreux de Gene Bergeron]

Je suis revenue depuis peu du Symposium Sols vivants organisé par Régénération Canada, auquel j’ai eu le privilège d’assister à titre de co-animatrice. En dépit de la grande fatigue que j’éprouve à la fin de ces quatre jours de rassemblement, je n’aurais voulu me trouver à nulle part ailleurs. Les méthodes de régénération de l’agriculture et d’aménagement des terres proposent la solution la plus prometteuse aux changements climatiques, quoiqu’elle soit possiblement la plus méconnue. Elle propose d’activer la capacité innée des sols sains à séquestrer des milliards de tonnes de carbone chaque année. Cette pratique offre également la possibilité de contrer de nombreux enjeux, dont l’insécurité alimentaire, la pollution et la pénurie de l’eau, la perte de biodiversité, la désertification et les risques à la santé publique. Contrairement aux méthodes conventionnelles d’agriculture qui détériorent activement les sols, les méthodes régénératrices sont axées sur la création de conditions qui favorisent le développement sain des microorganismes vivants dans le sol. Il s’agit de travailler avec plutôt que contre la vie. Pour toutes ces raisons, le Symposium a attiré 500 participants, dont des agriculteurs, des éleveurs de bétail, des transformateurs alimentaires, des détaillants, des scientifiques, des journalistes, des bailleurs de fonds et des décideurs politiques, tous empreints d’un sentiment d’urgence et d’un espoir prudent.

Pendant quatre jours, un éventail de sujets et de pratiques ont été abordés à de nombreuses séances distinctes. Mais, entre les séances, j’ai entendu un refrain particulier durant les conversations : « Nous comprenons l’importance et la valeur des méthodes régénératrices des sols, mais comment pouvons-nous convaincre les autres de leur bien-fondé? Comment pouvons-nous inciter les consommateurs, les politiciens et les détaillants, mais surtout les agriculteurs, à changer leurs façons de penser et de faire? »

Il est difficile de résister au désir de changer les gens. Toutefois, comme j’en ai fait part aux participants du Symposium lors du cercle de clôture, ce questionnement ressemble énormément à la méthode conventionnelle d’agriculture qui nous a causé tant de problèmes. « Comment pouvons-nous faire en sorte que les plants poussent de la manière dont nous le souhaitons? Comment pouvons-nous forcer les sols à livrer leurs fruits? »

J’ai alors proposé ces pistes de réflexion : « Pourquoi essayer de changer les agriculteurs – qui que ce soit, d’ailleurs? Pourquoi ne pas les inviter à envisager eux-mêmes un changement de mode de pensée et d’action dans ce domaine? Au lieu de s’efforcer d’inciter les agriculteurs à adopter de nouveaux comportements, pourquoi ne pas se rallier autour d’eux dans un esprit d’échange d’expériences et de connaissances et dans la célébration et la révérence des sols vivants? »

Voici l’essentiel de ce que je retiens du Symposium : peut-être, plus que toute autre profession, un village entier est nécessaire pour « élever » un agriculteur « régénérateur », comme je l’ai mentionné dans un autre article pour tout type d’entrepreneur. L’écosystème entier des acteurs du milieu doit renouveler ses priorités et ses pratiques pour assurer la viabilité de l’agriculture régénératrice.

Or, pourquoi ne pas nous concentrer à rallier l’ensemble du village, tous portés par la conviction que le village nourrira à son tour ses habitants – et la Terre? Et si nous faisions en sorte que le mouvement de régénération prenne de l’ampleur par « propagation latérale » plutôt que par « déploiement à une plus grande échelle », en disséminant à l’échelle locale les codes au coeur des relations communautaires harmonieuses?

Afin d’appeler l’ensemble du village à se rassembler, peu importe où nous nous trouvons, nous pourrions créer une convergence autour d’une orientation ou intention collective : une question qui nous incite à échanger nos réflexions ou à envisager une vision d’avenir selon laquelle déterminer le mode de vie sain à privilégier. Voici la question que j’ai posée à la fin du Symposium :

Si prendre soin des sols et soigner notre lien avec ces derniers étaient essentiels à notre propre guérison de même qu’à celle de notre société et de notre monde, à quoi cela pourrait-il ressembler? Qu’est-ce que cela supposerait?

Ces concepts peuvent sembler trop ésotériques pour certains. Or, chaque collectivité ou chaque « village » devra déterminer son propre point de convergence. Cependant, si nous devons nous concerter dans un esprit d’échange des apprentissages, peu importe la discipline ou les rôles, et si nous devons mettre en place des changements systémiques significatifs et durables – comme nous n’avons plus le choix –, notre objectif collectif devra transcender le simple niveau tactique et pratique. Il devra aborder ce qui nous importe tous le plus. Les tactiques émergeront éventuellement, et ce, non seulement pour les agriculteurs et les intendants des terres, mais aussi pour tous les acteurs du milieu. L’appel à la régénération des sols – soit l’appel à œuvrer avec au lieu de contre la vie – s’étend à chacune et à chacun d’entre nous et à tous les aspects de nos vies.

En fin de compte, le mouvement de régénération nous convie à nous rallier dans le souci d’une saine intendance de la Terre, en demeurant à l’écoute de ce que nous sommes appelés à faire et en s’harmonisant à la vie. Il s’agit là de la pratique profonde qui sous-tend le travail de tous. Et les sols vivants peuvent s’avérer nos maîtres les plus universels et les mieux placés pour instaurer cette pratique.

« Les sols sont les grands créateurs de connexions du vivant. Ils sont à la fois l’origine et la finalité de toute vie. Ils ont fonction de guérisseurs et de restaurateurs, et ils font rejaillir la vie. Grâce à eux, la maladie laisse place à la guérison, la vieillesse, à la jeunesse et la mort, à la vie. Si on néglige les sols, aucune collectivité n’est possible, car si on ne prend pas soin des sols convenablement, on ne peut prétendre à la vie. » [traduction libre]

– Wendell Berry, The Unsettling of America: Culture and Agriculture

 

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